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Un peu de temps à l’ombre

A cette saison, bien dur est de retrouver la motivation à ressortir en montagne. Après avoir passé presque trois mois entre Kirghizistan et Népal, l’envie est clairement aux falaises ensoleillées et grasse matinée en camion dans le Sud.

Mais cette soif de montagne sommeille et il ne faut pas grand-chose pour qu’elle reprenne le dessus.

Cela manque quelque peu d’originalité en cette saison mais c’est dans trois faces Nord que l’histoire se déroule, trois magnifiques voies parcourues pour composer une semaine bien remplie.

Au programme, une Petite, une Moyenne et une Grande. Mais comme souvent, « ce n’est pas la taille qui compte ».

D’abord l’Eiger (M5, 1600m) pour chauffer les mollets, la voie Lucéna-Mercier (M8, 300m) aux pointes Lachenal pour chauffer les bras et enfin la mythique Rhem-Vimal (M8/1100m) aux Droites pour concrétiser l’échauffement.

Après un rapide passage dans les plaquages de « Beyond » à l’aiguille des Pélerins, l’envie de grimper piolets à la main est omniprésente. La météo est parfaite, les conditions un peu moins, mais l’idée d’enfin parcourir l’une des voies d’alpinisme les plus historiques suffit. Nous voilà au pied de l’Eiger, 1600m de face, dur de ne pas se laisser impressionner.

Un petit train nous permet de préserver nos forces pour le lendemain et nous dépose directement à l’emplacement de notre bivouac, à deux pas du pied de la face Nord et du départ de la voie Heckmair.

On a beau en avoir déjà beaucoup entendu parler, cette voie marqua les esprits comme la dernière des trois Face Nord mythiques de l’époque. Après plus de quatre années de tentatives incessantes, avec en toile de fond les prémices de la seconde guerre mondiale et la valorisation d’une Allemagne puissante autant en Char d’assaut qu’en alpinisme, la plupart des tentatives se terminèrent tragiquement… Jusqu’au succès final départageant à la photo-finish la cordée allemande d’une cordée autrichienne, incroyable !

De notre côté, les enjeux sont moindres mais nous souhaitons tout de même gravir la voie à la journée, alors ne perdons pas de temps : Réveil sous les étoiles à 4h, après un petit footing d’éveil musculaire, nous sommes au pied du monstre vers 7h. La première moitié de la voie nous propose une escalade très agréable alternant névés en neige couic ainsi que du mixte facile. A partir du fameux « Bivouac de la mort », les longueurs deviennent plus techniques et les conditions se dégradent. Tout est sec, plutôt pratique pour les longueurs d’escalade à première vue mais le rocher est ici de qualité médiocre et sans glace pour le maintenir en place, un certain engagement est perceptible. La pose de protections est complexe et la voie propose de nombreuses traversées alors mieux vaut ne pas faire un pas de travers.

Hinterstoisser, traversée des Dieux, ici chaque passage a un nom souvent synonyme d’un événement tragique ayant eu lieu.

Finalement, 14h plus tard, nos frontales pointes le bout de leur nez sur le sommet de l’Ogre.

 

De retour à la tente, mon téléphone ne cesse de vibrer, l’ami Charly est surmotivé de retourner en montagne. Depuis nos aventures partagées au Népal, nous ne sommes pas encore retournés ensemble en hauteur.

Une fois redescendu à Grindelwald, mon programme pour les jours suivants semble donc bien rempli.

Nos yeux pointent vers la Rhem-Vimal, une ancienne voie d’artif qui emprunte l’endroit le plus raide de la face Nord des Droites, un bouclier qui propose de splendides longueurs de dry-tooling.

Etant donné l’ampleur du projet, nous décidons d’échauffer nos piolets dans un premier temps dans une voie courte mais technique aux Pointes Lachenal, la « Lucéna-Mercier » offre de magnifiques longueurs de mixte jusqu’à M8, avis à tous les férus de verrouillage de lames, c’est un must !!!

 

Deux jours plus tard, nous nous retrouvons les piolets entre les dents, motivés comme jamais pour aller « défourailler » en face Nord des Droites. Nos sacs sont bien remplis mais en peu de temps nous rejoignons le pied de la face et installons notre campement pour la nuit suivante.

On regarde avec une certaine envie les randonneurs ayant préféré l’option nuitée en refuge bien au chaud. Mais de notre côté, nous préférons optimiser chaque minute de notre temps et donc dormir au plus proche de notre voie.

Le confort apparent de notre campement disparait bien vite quand le réchaud décide de me filer des mains pour se loger contre la paroi de notre tente. Ayant le temps de réaction d’un cachalot à moitié endormi, c’est une nouvelle aération qui vient s’ajouter à notre abri. Cet évènement combiné à la brise fraiche qui remonte le glacier fait que le confort dans notre bâtisse a bien diminué.

Nous enfilons aussi vite nos lyophilisés que nos doudounes et direction le fond de nos duvets.

C’est à 2h que la douce mélodie de nos réveils sonne. Toute la nuit, nos rêves résonnent en écho aux récits de nos ainés, les douces paroles de Maxou, « l’ambiance Droites », elle est bien là.

Pas le temps de tergiverser, nous enfilons nos chaussures et prenons la direction bien sombre de la rimaye. L’obscurité est pesante, seule la lueur de nos frontales est là pour nous réconforter. Les 600 premiers mètres en neige/glace et mixte facile sont vite avalés, une seule question nous turlupine, comment descendre ? Impossible en rappels dans cette portion comme les cordées précédentes l’avaient fait, trop de neige pour faire des lunules :

« T’en penses quoi Charly ?
– On verra bien en descendant nan ?
– Au pire on désescalade ?
– Ça a l’air de bien se désescalader c’est clair. »

Après cet échange très constructif nous sommes au pied du bastion tels deux preux chevaliers prêts à tout pour éventrer les fissures et récupérer la princesse au sommet.

Malheureusement ici, pas de dragon pour nous réchauffer les pieds ni de princesse au sommet, seul le vide nous entoure.

Le ton est donné dès la première longueur, l’escalade est très exigeante, la glace fragile mais de bonnes protections nous permettent d’avancer efficacement. S’en suit 4 longueurs entre M6 et M8 toutes aussi majeures les unes que les autres avec une mention spéciale pour la traversée en fissure large proposé par Eric Doizeau lors de la première ascension en libre. Imaginer un tel passage évitant les longueurs d’artif, c’est donc ça « être visionnaire » ?

Il est 17h, une centaine de mètres plus haut, nous sommes sous l’arête sommitale, nous ne ferons pas l’effort d’aller jusqu’au vrai sommet des Droites sur la gauche car nous envisageons maintenant de descendre dans un couloir qui se situe à notre droite. « Le couloir de l’Aiguille Verte », il semble bien en glace, au moins sur sa première moitié, synonyme de rappels faciles à installer. Le début de la descente se passe donc sans encombre. Avant la tombée de la nuit, la rimaye ne semble plus si loin…

 

Mais la glace commence à disparaitre, et nous devons maintenant désescalader dans une neige raide, parfois inconsistante.

Sensation désagréable que de descendre dans l’obscurité quasi-totale vers un but qu’on ne distingue pas. Au passage les plus raides, nous devons nous remettre d’aplomb et réactiver notre concentration ; dans ces passages, aucun assurage n’est possible et la fatigue des 18 heures d’activité commence à peser.

Après un véritable combat mental et 500m de désescalade, nous distinguons le champ de crevasses qui fait office de rimaye, nous posons un câblé salvateur pour tirer un ultime rappel qui nous ramènera jusqu’à nos skis.

Symon Welfringer

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