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Trilogie de face Nord dans l’Oisans sauvage

Après un mois à ouvrir des voies au Népal, me voici de retour en France pour une trilogie de face Nord dans l’Oisans sauvage…

Après un été peu propice à la pratique de la grimpe alpine avec des conditions de sécheresse sans précédent (le fameux glacier Carré a même été renommé névé Carré sur les prochaines carte IGN), la motivation pour de belles bambées était plus forte que jamais à l’automne. Les périodes de beau temps se sont enchainées sur les Hautes-Alpes, j’ai donc eu l’occasion de parcourir en l’espace d’un petit mois, trois faces Nord de sommets mythiques de l’Oisans sauvage.

1/ Face Nord du grand pic de la Meije

Dans un premier temps, et ce après l’avoir admirée pendant tout l’hiver dernier en vain, c’est la Face Nord directe au grand pic de la Meije qui nous a usé les crampons. Avec une montagne aussi sèche, nous avons préféré l’approche par le refuge du promontoire permettant d’éviter les mauvaises crevasses des Enfetchores. Attelés de nos gros sacs à dos avec le bivouac du soir (le refuge étant fermé au public pour des travaux suite à des chutes de pierre cet été), nous quittons la Bérarde l’esprit serein sous un temps des plus radieux.

Sur cette voie, je suis accompagné du célèbre Raphaël Georges, aspirant guide et pionnier de l’alpinisme sur les côtes Bretonnes, nous avons déjà partagé de nombreux moments ensemble, notamment au sein de l’équipe nationale d’alpinisme de la FFME. Il faut bien avouer que cet énergumène a de nombreuses qualités grimpantes mais tout ce qui s’apparente à une augmentation du rythme cardiaque n’est pas sa tasse de thé. Autant dire qu’une fois arrivé au refuge du promontoire, il avait réussi la moitié des difficultés de la course (enfin c’est ce qu’il pensait). Nous envisageons de faire la voie à la journée avec un retour à la Bérarde le soir, boulot le jour suivant oblige.

Le lendemain, les premières difficultés se font sentir dès l’approche de la voie, l’été a laissé le glacier bien sec et de nombreuses pentes sont en glace. Les crevasses se sont bien creusées et le cheminement de nuit y est complexe, après quelques ponts de neige traversés telles deux ballerines Moscovites, nous voilà prêts à en découdre avec la glace noire que nous offrent les premières longueurs communes avec la voie du Z. Malgré ce terrain bien sec, il reste assez de glace pour maintenir les blocs entre eux et nous évoluons assez rapidement.

Nous bifurquons ensuite dans un large dièdre vers la gauche, les premières longueurs techniques nous forcent à enlever nos gants douillets et nous subissons les premières onglées de la saison. La voie suit une ligne de fissures assez logique en rive droite de ce grand dièdre. Nous effectuons l’essentiel des longueurs sans piolets ni crampons, pour laisser nos qualités de grimpeurs de fissure s’exprimer. Avec nos sacs et l’ambiance de cette face Nord, les cotations paraissent bien tassées, en particulier la longueur clé donnée 5c, qui m’aura autant fait forcer qu’un 8a espagnol. L’escalade est magnifique dans ces fissures à l’ancienne. Les longueurs se suivent et se ressemblent dans cette partie de la voie avec un bel effort physique à fournir à chaque fois, la partie haute est plus enneigée et nous force à remettre les crampons pour quelques pas de dry-tooling. Nous arrivons finalement au sommet en ayant fait très peu de corde tendue, bien fatigués. La joie de voir la vierge sommitale est légèrement ternie par la descente qui nous attend. Nous l’avons déjà parcourue auparavant mais les souvenirs sont flous, la nuit tombe quand nous mettons les pieds sur le glacier carré (ou du moins ce qu’il en reste). De là , Raphaël propose une petite variante d’itinéraire pour éviter le couloir Duhamel peu agréable à descendre. Il connaît une ligne de rappel qui descend depuis une certaine « aiguille » dans les alentours, la suite du programme est composée d’une longue errance pour trouver le-dit premier rappel (pourtant si évident à trouver de jour, la dernière fois). Après avoir coincé par deux fois notre rappel, la fatigue commence à se faire sentir à notre arrivée au pied de la face Sud de la Meije : « il est pas si mal ce couloir Duhamel au final ».

La lumière du refuge plus haut nous laisse imaginer la saveur d’une bière et d’un bon lit. Mais pas de repos au programme, l’heure tourne et je risque bien d’arriver en retard au travail.

S’en suivent trois heures de marche zombiesque (ie : à la façon d’un zombi), les capacités de trail-runner de Raphaël sont mises à rude épreuve et ses plaintes résonnent jusqu’à la Bérarde. Nous arrivons finalement au petit matin à la voiture, après 24h de dur labeur Oisanesque.

2/ Face Nord du Pic Sans Nom

La suite des aventures a lieu une dizaine de jours plus tard dans une autre face Nord des plus austères, celle du Pic Sans Nom. Pour cette fois, mon collègue de bartasse est Pierrick Fine, fine lame du dry-tooling français. Je suis déjà allé faire deux voies sur cette montagne (La Raie des Fesses et Aurore Nucléaire) mais je ne suis encore jamais allé jusqu’au sommet. Nous envisageons de gravir la Cambou-Francou qui se situe en plein milieu de la face Nord pour presque 1000m d’escalade.

Notre seule crainte est la neige qui est potentiellement présente dans la voie suite aux dernières précipitations. Nous décidons donc d’aller zieuter la face dans un premier temps et en profiter pour poser du matériel au pied. De nombreuses faces Nord sont plâtrées de neige sur la route en passant devant la Meije, la peur nous gagne.

Nous sommes vite rassurés après notre montée sur le glacier Noir où toutes les montagnes avoisinantes sont restées plus sèches qu’un bon saucisson. Le feu passe au vert, nous redescendons au Pré de Madame Carle pour une bonne nuit de repos avant d’attaquer les choses sérieuses à 2h pétantes le lendemain. Dur de trouver la motivation de sortir du camion avec la gelée matinale qui nous saisit et nous fait avaler nos petits-déjeuners en un temps record. La montée au glacier Noir sans sac est tout de même un réel confort. Grâce à nos observations de la veille, nous réussissons à trouver l’attaque et faire les longueurs du bas de nuit. Au lever du jour, nous avons passé le premier névé de la voie et sommes au pied des réelles difficultés. On accroche piolets et crampons au baudrier pour les remplacer par une paire de chaussons.

Les longueurs ne sont pas extrêmes (6c max), mais le fait de grimper avec un froid pareil avec tout le matériel sur le dos rend la chose plus complexe. Cependant, le rocher est de superbe qualité et l’on se rend vite compte que certaines fissures de l’Oisans n’ont rien à envier à leurs cousines Chamoniardes. Le passage du bastion central de la voie qui constitue le passage le plus dur ne nous ralentit pas mais puise dans nos ressources physiques. La suite de l’escalade est censée se dérouler dans un terrain mixte, facile, mais la sécheresse omniprésente des lieux a transformé cette partie de la montagne en éboulis vertical. Nous avons à nouveau enfilé nos crampons et, solidement accrochés à nos piolets, nous avons essayé de nous faufiler au mieux entre les zones les plus pourries. Après deux trois belles frayeurs et un casque fendu en deux, nous arrivons enfin au pied de l’arête sommitale. Mais c’est en fait ici que nos problèmes commencent.

Nous étions en connaissance de cause, le bulletin météo précisait bien des rafales de vent de Nord à 80/100 km/h pour la journée, mais nous étions bien protégés dans la face. Au moment de passer de l’autre côté de la montagne, au pied de cette arête sommitale nous avons bien compris que ces rafales allaient nous empêcher de continuer notre ascension.

J’avais en mémoire le bulletin météo que j’avais rédigé la veille et étais certain que le vent se calmait en matinée prochaine (je travaille à Météo France). Nous décidons donc de dormir à cet endroit sur une vire abritée du vent si possible, nous nous contenterons finalement d’une mauvaise vire bancale d’une dizaine de centimètre de large. Ne craignant en aucun cas ce genre de mésaventure, Pierrick sort de son sac une énorme doudoune et me nargue en l’enfilant. De mon côté, tous mes habits sont sur moi depuis un bon bout de temps et je sens que l’attente va être bien longue sur ce mauvais bloc qui m’impose une séance de gainage de plusieurs heures.

Après avoir lutté contre le froid en entendant les ronflements de mon compagnon de cordée, le soleil se lève et le vent par la même occasion.

Nous effectuons un petit rappel pour rejoindre l’itinéraire de la voie et enchaînons avec l’arête sommitale qui réservait encore quelques longueurs bien coriaces. L’arrivée au sommet et le retour du soleil revigorent nos esprits, nous sommes d’aplomb pour la descente. Malgré quelques erreurs d’itinéraires nous arrivons à Ailefroide sans encombres. Pierrick entame alors le sprint final sur sa bicyclette pour aller chercher notre camion resté au Pré de Madame Carle.

3/ Face Nord-Ouest du pilier Girod

Une semaine plus tard, les premiers flocons s’abattent sur le massif des Ecrins, l’heure est venue de chausser les skis ? Non merci, mon envie de belles courses en montagne est encore trop forte. Après plusieurs coups de fil à Raphaël pour tenter de le convaincre qu’il n’a pas tant neigé et que l’on peut encore grimper en montagne, nous voilà de retour au parking de la Bérarde bel et bien sous la neige, drôle d’ambiance en comparaison avec notre dernier passage.

Le froid nous saisit dès la sortie de la voiture et nous enfilons tous les habits qu’il nous est possible de trouver. Le rythme de marche est bien plus lent que la dernière fois, plus nous avançons plus la neige se fait épaisse. Nous devons faire la trace dans plus de 60 cms de neige pour atteindre le bivouac du vallon de Bonnepierre. Avant la tombée de la nuit, la vue de la face ne nous a clairement pas rassuré, tout est blanc. Il faut se rendre à l’évidence, notre objectif premier qui était de gravir le pilier Girod sur cette face Nord-Ouest du Dôme des écrins est illusoire. La nuit porte conseil, encore faut-il pouvoir dormir pendant la nuit …

Le réveil sonne à 5h et la petite tête de Raph sort de son duvet plein de givre, on ose à peine sortir nos bras, la température se situe quelque part entre -15 et -20°C. Clairement, on se pèle les fesses. La routine du bivouac se met tout de même bien en place, on fait de l’eau, on s’alimente tout en restant un maximum de temps emmitouflé dans le duvet. Les premiers pas sur le glacier nous mettent de suite dans le thème de la journée : la brasse coulée. Malgré les origines bretonnes de Raph, il est aussi mauvais que moi en natation. Aux vues des conditions de neige, nous avons décidé de tenter notre chance dans le couloir Mayer-Dibona. Même sans topo, la ligne est à priori évidente. De loin, on observe des coulées de neige dévalant notre couloir. Nous n’allons sûrement pas pourvoir enlever la capuche de la journée.

Nous avons également pris avec nous de quoi faire un bivouac spartiate mais la météo du lendemain est mauvaise, l’odeur du but commence à se faire sentir. Nous attaquons la voie par un couloir en glace sur la droite, une belle goulotte semble ensuite se dessiner. Quel plaisir de retrouver de la belle glace sorbet, nous évoluons principalement en corde tendue mais nous nous protégeons mal et le rocher alentours, habitué à être sous la neige, est de très mauvaise qualité. Par intermittence, les spindrifts s’abattent sur nous, ils deviennent de plus en plus conséquents au fur et à mesure que nous nous élevons dans la voie. Raphael commence à être réticent, avancer dans de la neige inconsistante ou du rocher pourri sans protection pendant les 500 prochains mètres ne lui plaît guère.

Quelques longueurs plus tard, à mon tour, je me rends à l’évidence, nous ne pourrons pas atteindre le sommet sans prendre de gros risques avec des conditions pareilles.

Le ciel commence à faire des siennes avec des averses de neige qui apparaissent, c’est le flocon de neige qui fait déborder le pluviomètre, nous DESCENDONS. Quelques rappels sur lunules de glace sous des spindrifts se transformant en avalanches mettent un point final à cette troisième Bartasse.

 

Bien qu’incomplète, cette trilogie a été une très belle manière de découvrir le potentiel infini d’escalade en Oisans. Le massif des Ecrins possède parmi les plus belles courses d’alpinisme sur des faces de plus de 1000m dans un cadre aussi sauvage, un peu de patience, les lignes de glace commencent à se former …

 

 

Symon

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