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Cap Nord Nuit Polaire : partie 3

Le journal de bord des Engagés continue au lendemain d’un jour 8 bien compliqué….

JOUR 9 – ON PERD DES POINTS DE VIE, MAIS ON GAGNE DES KILOMÈTRES

Après la sévère raclée prise la veille, nous nous levons avec la volonté de fer de parcourir du kilomètre et de montrer à la Laponie que nous n’avons pas dit notre dernier mot.

Ce matin il fait froid. La sortie du duvet est délicate mais chacun s’exécute sans dire un mot. L’ambiance est froide et silencieuse.

Chacun sait que cette journée est décisive, car nous devons traverser une rivière et atteindre en fin de journée un ultime plateau final qui annonce la fin de la végétation jusqu’au Cap Nord.

Thomas entame la première trace. Le groupe progresse avec léthargie. Nous sommes encore endormis par la fatigue accumulée et le manque de sommeil. Thomas arrive magnifiquement à nous faire slalomer entre les arbres malgré une neige bien molle. Nous voilà arrivée sur la rive sud de la rivière. Par bonheur, nous y découvrons un minuscule pont de la largeur d’un homme. Il semble frêle mais nous tentons la traversée. En 5min c’est fait. Après seulement une trace, l’obstacle principal de la journée est franchi.

Mais nous restons concentrés, la journée ne fait que commencer.

La neige est toujours aussi molle et nous nous enfonçons de 50cm à chaque pas. C’est un réel défi pour le traceur. Les muscles sont bandés. Les talons tirent. Les articulations grincent. Le dos est meurtri par le poids de la pulka. Nos corps encaissent sans se plaindre. La seule chose qui nous galvanise ce sont les kilomètres que nous arrachons à la Laponie.

Les pauses sont silencieuses, signe que les esprits sont fatigués par l’effort. Déjà 9h de marche. Dans ces conditions, la dernière trace paraît irréelle. Nous continuons à nous enfoncer mais nous apercevons le dôme final qui signe l’atteinte du plateau pour lequel nous luttons depuis des heures.

Nous faisons les comptes : 10h de marche, 450m de dénivelé positif et 10km à vol d’oiseau. Une belle performance étant données la difficulté du terrain. Nous plantons la tente, plein de sueur. Nous nous hâtons car cette transpiration gèle rapidement et nous couvre de frissons.

Demain, nous projetons de porter le coup de grâce à l’expédition en parcourant 20km sur le plateau blanc qui se dresse devant nous. Si nous y parvenons, peut-être alors aurons-nous le droit à 15min de sommeil en plus.

JOUR 11 – FAIRE FACE POUR NE PAS SUBIR

Cela fait deux jours que nous sommes la tête dans le guidon. Nous marchons comme des dératés et faisons la course contre le temps pour revenir dans l’expédition. Désormais, nous sommes de retour dans le prévisionnel initial de l’aventure. Pourtant, nous savons que l’expédition est encore fragile car chaque jour est aléatoire et charrie son lot de surprises et d’obstacles.

Nous nous sommes placés dans un état d’esprit de création de marge pour atteindre l’objectif dans les temps, alors que les jours précédents, nous n’avions fait qu’encaisser les difficultés les unes après les autres, et nous endetter. Depuis deux jours, nous avons décidé de faire face et d’arrêter de subir.

Il nous reste 7 jours et demi d’expédition et 82km à parcourir. En prenant en compte notre marge il nous faut parcourir 16,5km par jour. Hier et aujourd’hui, l’objectif a été rempli. En effet nous avons appris de nos erreurs et savons que le moindre grain de sable nous faire perdre des heures précieuses. En conséquence, notre analyse topographique est de plus en plus rigoureuse. Soir après soir, nous scrutons chaque cm2 de la carte pour éviter les obstacles difficilement franchissables. Nous l’avons vécu, le moindre dénivelé ou minuscule zone forestière apparaissant sur sur la carte peut nous prendre des heures.

Tant bien que mal, nous nous frayons un chemin au cœur de la nuit polaire, à travers ces dômes et reliefs enneigés. Nous restons vulnérables. Aujourd’hui encore, une nouvelle surprise : il a fait 0 degré, puis il a neigé ou plu, on ne sait pas trop. Résultat nous voilà trempés. La neige s’accroche et s’accumule sous les skis et les pulkas : impossible d’avancer. Nous décidons de terminer les 2 dernières traces à pied, une mesure extrême qui s’avèrera payante.

L’objectif de la journée est péniblement atteint. C’est avec joie mais surtout beaucoup d’humilité que nous nous couchons ce soir, conscients que bien des surprises peuvent encore survenir dans les 82km qui nous séparent du Cap Nord : bris de matériel, blessures, météo… la moindre inattention peut signer la fin de l’expédition. Thomas vient par exemple de trouer son matelas gonflable, son repos pourtant très mérité risque d’en prendre un coup. Alors restons concentrés,  rien n’est encore gagné.

JOUR 12&13 – EMBELLIE KILOMÉTRIQUE POUR LES ENGAGÉS

Nous avons progressé plus rapidement que prévu dans un couloir montagneux. Un choix d’itinéraire qui a payé. 50 kilomètres en deux jours qui nous ont permis de déboucher sur la mer avec 24h d’avance sur nos prévisions. La barre est enfin redressée mais nous retenons notre souffle et restons prudents.

En effet, chaque jour amène son lot de difficultés. Hier, nous avons été cueillis par une tempête verglaçante. Les vents, supérieurs à 70km/h et montant jusqu’aux 100km/h, nous interdisaient de monter la tente, sous peine de la voir s’envoler. Il faisait nuit, il faisait froid, la visibilité était inextistante. Décisions et débats difficiles au sein du groupe, avec des désaccords et des tergiversations sous la pression et la violence des événements. Avec recul et sang-froid, nous avons finalement décidé d’avancer calmement dans la tourmente. Un choix payant pour l’expédition, tant en terme d’avancement que de sécurité.

En revanche, nous avons sacrifié durablement notre confort. La neige s’est vite transformée en pluie (ce qui est une mauvaise surprise car nous sommes 600km au Nord du cercle polaire). Ce changement de climat brutal nous a plongé dans un état d’humidité duquel nous n’arrivons pas à nous dépêtrer. Duvets, vestes, chaussures … tout est trempé. Alors que le froid revient aujourd’hui, nous faisons face et nous préparons à traverser le fjord en pakraft @anfibiopackrafting pour atteindre l’île du cap Nord. Le moral est au beau fixe alors que nous sentons l’objectif se rapprocher mais nous restons extrêmement humbles car la Laponie pourrait bien nous réserver d’autres surprises.

JOUR 14 & 15 – LA GRANDE TRAVERSÉE

Jour 14. Nous sommes impatients d’aller à l’eau. Nous avons tout prévu, les 3 packrafts sont attachés ensemble tout comme les pulkas qui suivent derrière. Tout fonctionne, nous pagayons allègrement, nous sourions, rions, bref, nous sommes heureux…

Mais au bout de 200m c’est la sanction. Deux de nos trois packrafts crèvent par une erreur d’inattention (un coup de piolet mal placé en réalité – oui c’est possible car le domaine de l’erreur humaine est aussi vaste que les pôles). Nous accostons en urgence et nos chaussures prennent l’eau. Dépités, nous nous résignons à monter le camp et nous lançons dans la réparation des deux vaisseaux. Notre excès de confiance a été puni.

Mais nous n’avons pas dit notre dernier mot. Nous les réparons, puis les gonflons. Nous décidons de laisser passer la nuit. Si la réparation tient le coup nous retenterons la traversée.

Jour 15. Ce matin, nous décidons de nous lever à 3h pour saisir la dernière fenêtre météo favorable pour ce que nous croyons être l’ultime obstacle : traverser un bras de la mer de Barents sur 14km pour atteindre l’île du Cap Nord. Nous nous réveillons empreints d’une grande humilité, conscients de la leçon infligée la veille. On décide d’avoir une approche réfléchie, délicate et intelligente. On est extrêmement concentrés. L’échec d’hier est dans tous les esprits mais il ne faut pas en rester là. Cet état d’esprit ne nous empêchera pas de nous intoxiquer à l’essence, dès le petit déjeuner. Nous n’avons toujours pas compris comment pardieu de l’essence a réussi à s’infiltrer dans les nouilles chinoises et l’avoine de jour 15. Un mystère que nous ne percerons jamais. Quoi qu’il en soit nous voilà pâteux, légèrement nauséeux sous l’effet des vapeurs d’essence qui remontent de notre estomac via de désagréables rôts. La journée est lancée

Nous attendons calmement dans la tente que le vent et la lourde neige qui tombe se calment puis, nous arrimons à nouveau les packrafts et les pulkas. Les réparations ont l’air de tenir… Notre stratégie est de suivre la côte pour sortir du fjord puis de se lancer dans la traversée finale. A 8h20 nous sommes à l’eau. Calmes. Concentrés. Et surtout, sur nos gardes. Nous longeons la côte tranquillement, la marée descendante aidant. Puis, la houle commence à se lever. Ça tangue. Nous restons calmes. Les pulkas qui suivent derrière tapent dans nos packrafts. Nous avons peur qu’ils crèvent à nouveau. Thomas, en place sur le packraft central, réussit à trouver un système pour les tenir à distance. Après quelques frayeurs, nous arrivons au bout du fjord. Nous devons faire une pause sur place. Faire pipi sur un packraft ne s’improvise malheureusement pas. Nous grignote en vitesse car nous nous rendons compte que notre embarcation dérive sévèrement vers l’océan. Nous pagayons jusqu’à nous épuiser pour retrouver le bout du fjord. Impossible de remonter le courant. Le courant est trop fort et nous écarte de la côte. Il s’agit d’en profiter et nous décidons de traverser maintenant droit devant au lieu d’aller au lieu d’accostage prévu, qui se trouve à contre-courant. C’est parti, la bataille est engagée, malheureusement pas à notre initiative. Mais nous décidons de ne pas subir. Maxime à gauche et Valentin à droite pagaient comme des diables, on se croirait dans une galère romaine. Thomas gère l’écart des pulkas et aide à pagayer également. L’effort est continu et intense.

Le courant est fort et nous dérivons trop vers l’Est. A ce moment personne ne pense plus au danger, nous sommes dans notre match, et nous donnons tout ce que nous pouvons. Il ne faut pas s’arrêter et dériver. On rame. On rame. On rame. Des crampes nous assaillent, nous avons froid, nous sommes trempés, mais nous ne lâchons rien. La côte paraît toujours aussi loin et c’est décourageant, mais c’est maintenant qu’il faut fournir l’effort. C’est maintenant que ça se joue. Le dernier grand obstacle avant le Cap Nord.

Nous engageons toutes nos forces dans cet effort suprême. La côte finit par se rapprocher. Les muscles lâchent mais nous continuons. Il faut continuer, on avance, on va y arriver. 500m… 400m… 300m… 200m… Ça y est on y presque, mais rien n’est gagné il faut continuer de pagayer… Aaaaaah ! Après un temps d’effort impossible à déterminer, et un épuisement certain, nous touchons les côtes du Cap Nord. L’euphorie nous gagne. Ça y est. On y est !

Nous accostons, posons le camp et la pression des trois derniers jours redescend d’un seul coup. Nos muscles tétanisés par le froid et l’effort nous poussent à tituber sur la terre ferme. Mais nous avons tous le sourire au visage et le moral au zénith d’avoir réussi au prix de très lourds efforts cette fameuse traversée qui accaparait nos esprits et ceux de nos proches depuis six mois… Ce soir, nous nous endormons épuisés et sereins bercés par le bruit des vagues.

Mais restons concentrés, rien n’est encore gagné, 35km environ nous séparent encore du Cap Nord…

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